
Pour faire suite à mon texte de la semaine dernière, voici la question que je me poserai au cours des deux prochaines années: Quelles sont les pratiques de résistance des professionnel/les québécois/es à la dictature du temps postmoderne et quels sont les facteurs et conditions qui motivent une telle entrée en résistance?
Ma recherche s’appuiera sur les travaux de deux auteurs, l’historien Moishe Postone et le sociologue Hartmut Rosa, qui posent l’hypothèse que le temps est devenu une dictature dans le monde actuel. Ma propre expérience et celles de plusieurs personnes rencontrées depuis la parution de mon premier livre, m’incitent à leur donner raison.
Partant de cette idée, on peut dire que, comme toute dictature, celle-ci peut être violente et exercer sur les personnes une « tyrannie »* génératrice de souffrances qui s’expriment de plusieurs façons (maladies, burnout, addictions). J’ai choisi d’étudier le cas de personnes qui vivent dans des environnements extrêmement dynamiques, où la pression du temps est énorme. Trois catégories de professionnel/les: avocat/es, médecins et professeur/es.
Comment ces personnes réagissent-elles à la dictature du temps? Quelle est leur compréhension de cette dictature et de leur propre pouvoir face à elle? Dans les cas où il y a résistance, comment se manifeste-t-elle et comment est-elle justifiée? La gestion du temps est-elle un outil utile à cette résistance ou, au contraire, sert-elle à intensifier le pouvoir du temps linéaire, « techno-économique »**, abstrait, productiviste, rationnel, occidental et masculin, sur la vie des personnes? Les femmes ont-elles des pratiques de résistance différentes de celles des hommes?
En me référant au concept de résistance et plus spécifiquement à celle des Français/es sous l’occupation allemande, je tenterai de décrire un continuum de pratiques de résistance au temps postmoderne. Car si, lors de l’Occupation allemande, un rejet radical du système a mené au maquis, la clandestinité s’est manifestée de plusieurs autres façons, si bien que des individus paraissant accepter et collaborer avec l’envahisseur n’en faisaient pas moins de petits et grands gestes subversifs. De la même manière et afin d’éviter les maux évoqués plus haut, certain/es professionnel/les décident de poser des gestes de résistance à la dictature temporelle en aménageant leur emploi du temps ou en mentant quant à la teneur de celui-ci. Sous un climat de performance, ces professionnel/les aménagent « en douce » leur rapport avec l’envahisseur de telle sorte qu’il soit moins générateur de souffrance. Je me pencherai sur la diversité de ces pratiques et sur ce qui les a motivées.
Dans le but à long terme de développer un modèle d’intervention auprès des professionnel/les québécois/es (objectif des Sciences humaines appliquées), ma thèse cherchera à identifier quelles sont, dans les structures temporelles actuelles, les conditions d’une remise en question de la dictature du temps et quelles pratiques de résistance sont les plus efficaces pour s’en protéger. Je veux contribuer à en favoriser l’émergence chez d’autres, avant que la maladie ne frappe. Car, même pour les tenant/es les plus engagés dans le monde productiviste actuel, la situation devient intenable en regard des coûts de plus en plus prohibitifs qu’elle occasionne. Du point de vue de ceux et celles qui cherchent à vivre un rapport au temps plus serein, la question devient d’autant plus justifiée qu’elle embrasse les espérances d’une vie bonne et signifiante.
Qu’en pensez-vous? Si vous reconnaissez certaines personnes de votre entourage dans le portrait que je viens de brosser, je serais intéressée à les rencontrer!
*L’expression est de Zaki Laïdi
**L’expression est de Claude Dubar
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