Cet essai est avant tout une entreprise de déculpabilisation personnelle, qui s’est peu à peu transformée en une réflexion sur notre manière moderne de vivre le temps. J’ai mis en pratique bien des méthodes de gestion du temps sans jamais parvenir à atteindre la sérénité qu’elles me promettaient. J’en suis venue à me demander si c’était moi le problème ou si ce n’était pas plutôt les auteurs de ces méthodes qui faisaient preuve d’un peu trop d’assurance quant à leur puissance…
Je suis donc partie à la recherche des origines des techniques de gestion du temps et me suis rendu compte qu’elles orientent non seulement notre façon de vivre le temps mais aussi, qu’elles s’appuient sur un système de valeurs : celui de l’organisation, telle que nous la connaissons dans nos économies néo-libérales. En conséquence, nous devons tous les jours nous conformer à un système temporel qui peut réduire dramatiquement notre richesse d’êtres humains.
Cela m’a menée à la découverte d’autres façons de voir et de vivre le temps. Ces temps, je les ai appelés : temps panoramique, temps en spirale, temps écosystème, temps maillon, temps mosaïque et temps à double fond. Ces temps multiples existent depuis toujours; je vise simplement à les présenter de façon moderne et concrète.
Notre perception d’un temps exclusivement linéaire ne serait-elle pas la cause principale de notre angoisse devant sa précarité, de cette sensation qu’il manque toujours, qu’il se rétrécit, qu’il nous est compté? Notre manière actuelle de vivre le temps ne serait-elle pas le premier obstacle à l’avènement d’un monde plus sain, plus paisible et plus respectueux de la Nature?
Le but de cet essai n’est pas de démolir les méthodes de gestion du temps. J’utilise encore ces techniques dont je ne nie jamais la puissance quand il s’agit d’accomplir des tâches. Je veux plutôt montrer que la gestion du temps a à ce point envahi notre quotidien que nous sommes aujourd’hui portés à penser que son application à tous les domaines de notre vie peut lui donner un sens et garantir notre bonheur.
Je veux élargir la perspective et remettre la gestion du temps à sa juste place dans un éventail beaucoup plus riche de manières de vivre le temps. Je veux montrer qu’à trop gérer le temps, nous avons peu à peu oublié de le vivre.
Structure de l’essai:
Cet ouvrage se compose de trois parties principales, composées de trois chapitres chacune. Les deux premiers chapitres de chaque partie exposent les idées que je veux présenter, alors que le troisième illustre ces idées de façon concrète, en les plaçant dans le contexte de la vie quotidienne.
Partie 1 : La force du courant
En passant de la vie paysanne à la vie en entreprise, nous avons considérablement changé notre façon de vivre le temps. En confiant à l’entreprise la gestion de nos heures de travail, nous lui avons remis aussi, progressivement et par souci de vivre un temps « unifié », l’ensemble de notre vie. L’entreprise a assumé la charge de notre éducation face au temps.
Sous-produits des grandes théories managériales, les méthodes de gestion du temps nous ont fourni des outils et des manières de faire nous promettant de vivre le temps de la meilleure façon qui soit, c’est-à-dire de façon efficace. Jean-Jacques Servan-Schreiber affirme : « … seuls peuvent profiter du temps ceux qui ont appris à l’utiliser au mieux ». Et, à ce titre, quel meilleur professeur pourrons-nous trouver que l’organisation?
Cette première partie a donc pour but de montrer d’où vient la gestion du temps en analysant (chapitre 1) dans quel contexte elle a été développée, (chapitre 2) de quelle manière et en fonction de quels besoins, ainsi que le système de valeur bien particulier sur lequel elle s’appuie (chapitre 3). Cette démarche nous amène à mieux nous rendre compte de la force du courant qui nous entraîne quand il s’agit de vivre le temps.
Partie 2 : La route et le paysage
Et si le temps était beaucoup plus riche et plus complexe que cette course sans limite vers le progrès; s’il pouvait évoluer autrement que vers le sommet d’un plan incliné? S’il pouvait aussi aller vers la profondeur, s’arrêter et même marquer un recul? S’il était aussi éternel, immobile et même, en de très courts instants, parfait? S’il pouvait aussis’étendre aux autres, se fondre dans le temps des autres ou se gonfler du temps des autres? Si le chemin était quelque chose d’autre qu’une piste étroite et balisée? Et si le temps n’était pas un, mais multiple et varié, une palette de couleurs à choisir pour chaque heure de notre vie? Si tous ces temps qui ont déjà existé, existaient encore? Si nous les avions simplement oubliés ou mis de côté?
Les deux premiers chapitres de cette deuxième partie vont à la recherche de ces temps perdus. Le troisième chapitre s’attarde ensuite sur quelques « défauts » spécifiquement humains, qui ne sont considérés comme des tares que parce qu’ils appartiennent à une autre manière de vivre le temps que celle de l’organisation. Tout au long de cette partie, les conséquences très concrètes que l’évincement de ces autres visions du temps provoque, tant dans nos vies personnelles que dans la vie des communautés, seront évoquées.
Partie 3: Conduire en Angleterre
Conduire en Angleterre nous oblige à la pleine conscience, en nous méfiant de nos propres biais, des réflexes de conduite que nous avons développés au cours de notre vie. Non seulement avons-nous à marcher à contre-courant mais, puisque ce courant nous habite et nous constitue, nous avons à choisir chaque jour de marcher avec un regard renouvelé dans le pays que nous avons choisi.
On nous a dit qu’avec un peu d’efficacité, nous pourrions tout faire, que nous n’aurions pas (ou très peu) besoin de choisir. Mais dans les faits, le choix s’impose souvent, parfois conscient, parfois par défaut. Car nos journées elles, n’ont et n’auront toujours que 24 heures. Je propose le mot dégagement pour parler d’un longue démarche à accomplir afin d’arriver à faire face au foisonnement de possibles qui s’offrent à nous dans nos sociétés modernes. Dégager l’essentiel, un essentiel singulier, très réfractaire aux méthodes, voilà le sentier à dessiner, pour soi. Ce n’est pas en devenant efficaces que nous célébrerons la générosité du temps, mais en devenant épicuriens.
Dans cette troisième partie, je m’emploie à concrétiser les implications de ces autres façons de voir et de vivre le temps, développées précédemment. Les temps panoramique, maillon, mosaïque et à double fond élargissent sensiblement notre perspective, ils complexifient un chemin que les techniques de gestion du temps s’efforcent pourtant de simplifier à l’extrême et de baliser. Nous verrons comment le temps en spirale (chapitre 7) et le temps écosystème (chapitre 8), peuvent nous aider à vivre cette nouvelle complexité de façon plus sereine. Enfin, le dernier chapitre donne des exemples très concrets de domaines de notre vie professionnelle ou personnelle, où un changement de regard provoque un changement d’attitude et donc des changements de comportements.