Lors d'une entrevue avec Jean-Martin Aussant le 11 septembre dernier*, Marie-France Bazzo affirmait que l’homme de 45 ans avait un parcours professionnel « atypique ». De fait, le fondateur de Option nationale…

« L’avenir, c’est ce qui repose silencieusement en attente, et quand il vient brusquement vers nous, brise les filets de tous nos plans, du faux avenir que nous nous sommes construit. » (Karl Rahner)
Karl Rahner est un jésuite allemand, écrivain et professeur de théologie, qui fut reconnu comme l’un des théologiens catholiques les plus éminents du XXe siècle. Il eut une grande influence sur le concile Vatican II, dont il fut l’un des experts*. Si je vous parle de lui aujourd’hui, c’est parce qu’il a longuement réfléchi sur le temps.
Le temps, c’est le présent, d’une part, et l’avenir, d’autre part. Chacun de ces deux états du temps présente deux dimensions distinctes: l’une objective (le temps scientifique et compté) et l’autre subjective (le temps vécu par les personnes). Ces deux dimensions sont indissociables puisque nul ne peut les vivre séparément. Qu’il soit scientifique ou ‘transcendantal’, le temps ne peut couler ailleurs que dans notre conscience.
Sa vision de l’avenir est très intéressante. Pour lui, la dimension objective de l’avenir nous incite à la planification et au contrôle. Nous cherchons à prévoir et planifier le temps afin qu’il devienne ce que nous avons décidé qu’il deviendra. Mais, comme nous planifions aujourd’hui, la planification n’est pas autre chose qu’un acte du présent. C’est donc d’un ‘faux avenir’ dont il s’agit ici.
Ainsi, ceux et celles qui ont mis leur argent de côté pour faire un voyage en Syrie il y a trois ans, n’avaient pas prévu qu’elle serait à feu et à sang aujourd’hui. Ils ont planifié un voyage dans un présent qui a cessé d’exister. Ils ont désiré, préparé et planifié un ‘faux avenir’. Combien d’exemples semblables pourrions-nous donner encore?
La planification et son principal outil, l’objectif, nous aident à cibler et à avancer vers un résultat attendu. Or, l’avenir, le vrai, est silencieux et « il vient vers nous de lui-même ». Il ne révèle rien de ce qu’il est. Il « ne dépend […] d’aucun pouvoir qui nous appartiendrait, il a plutôt son pouvoir en lui-même. » Il est hors de notre contrôle.
Rahner ne propose pas de cesser de préparer l’avenir et de nous résigner à la passivité. Il nous dit plutôt qu’en chaque être humain les deux dimensions de l’avenir – objective et subjective – sont en perpétuelle tension et forment une synthèse singulière. Il nous invite à accepter cette coexistence et cette tension. L’ouverture ‘radicale’ que cela demande peut devenir, selon Rahner, un lieu de rencontre entre l’humain et Dieu.
Peut-être s’agirait-il d’adopter une attitude moins arrogante, un esprit plus ouvert à ce que nous n’avons pas pu prévoir et qui s’impose à nous sans que nous ayons le choix de le refuser. Sachant nos prévisions « relatives et conditionnelles » à un advenir qui est hors de notre contrôle, nous pourrions simplement décider de faire de notre mieux et « advienne que pourra ».
Tout compte fait, cette « radicale ouverture à l’avenir » n’est-elle pas autre chose que la confiance radicale en la vie?
*Wikipedia
NB : Merci à Denise Couture pour m’avoir fait découvrir Karl Rahner.
Merci, Christine, encore un texte qui m’apporte du souffle en plein coeur de la semaine. Cette expression de « faux avenir » me rejoint beaucoup. C’est en ayant des enfants que j’en ai pris conscience. Les besoins de l’enfant s’imposent au moment présent, impossible de les anticiper ou de les ignorer. Mon seul appui devant l’inconnu de l’avenir, je le puise en m’enracinant dans le présent. Un jour, quelqu’un m’a dit : « Le présent est le baiser de Dieu. » Je ne sais pas de quel auteur ça vient, mais ça continue de m’inspirer.
Pour ma part, mes enfants sont aussi un bel exemple de cet avenir qui s’avance vers nous et sur lequel nous n’avons aucun contrôle! En devenant eux-mêmes, ils me surprendront, ils deviendront « autres ». D’où l’importance, pour garder le lien avec eux, de garder l’esprit ouvert et de (leur) faire confiance!
Chère Christine,
Quel beau sujet de réflexion tu nous offres!
Il est vrai que nous planifions, organisons afin que tout soit selon nos attentes. Cependant, cela ne se passe pas toujours comme nous l’aurions souhaité.
Les revirements de situations, les imprévus tels que la maladie nous arrivent sans que l’on s’y attende et comme tu le dis si bien, il faut faire avec…
Avec les années, j’ai appris à vivre ici et maintenant, à apprécier chaque jour qui m’est donné en tentant d’en tirer le meilleur. Je continue à planifier mais à beaucoup plus court terme et j’ai réalisé que nous n’avons aucun contrôle sur les événements, sauf de les accepter tels qu’ils nous arrivent.
Ceci ne m’empêche cependant pas de bien profter de la vie et de caresser de beaux projets tout en gardant en tête que l’avenir existe avec son lot d’inconnus.
Merci de nous offrir ce thème qui nous amène à réfléchir sur le temps et nous incite à faire confiance à la vie.
Planifier ET rester ouvert à l’inconnu. Tout un défi! Merci pour cette belle réflexion.
Hier, l’on se mariait pour la vie, on planifiait pour longtemps…
Aujourd’hui, souvent l’on sait qu’hier on était mariée, tout comme aujourd’hui, mais on ne sait ce qu’il en sera demain. La planification n’est plus la même. Il faut vivre chaque instant en étant ouverte à l’avenir gardant bien haut les valeurs qui nous font vivre.
Au boulot, il en était un peu de même, c’est plus rare aujourd’hui de faire toute sa carrière dans une même entreprise. Il faut se garder des portes ouvertes tout en donnant ce que nous pouvons donner.
J’aime l’idée des portes ouvertes sur l’avenir, cela évite les désillusions quand tout n’est pas comme prévu.
Je termine le récit de Nadine Trintignant, la survivante du meurtre de sa fille et quelques temps après, le décès de son vieux conjoint de 37 ans de vie… Elle avait perdu une autre fille en bas âge et deux proches ces dernières années. Elle a cependant trop aimé aimer pour arrêter, elle a un deuil, des deuils à faire, mais la vie l’emporte dans son cas.
Dans cette ouverture radicale à l’avenir, il y a aussi l’idée de disponibilité. Et cette disponibilité permet de laisser cet avenir nous changer.
Le sociologue Hartmut Rosa explique ce que tu décris. Pour lui, ce démantèlement des identités nous mène à l’aliénation. Mais je pense comme toi: les valeurs peuvent être au dessus des ‘identités situatives’ comme il les nomme. Ce sont elles qui sont garantes du sens de la vie, même si la vie professionnelle ou familiale change plus vite qu’avant… Ça c’est un beau sujet!
Comme aidante naturelle d’un être cher en fin de vie, je suis consciente que le présent est précieux et qu’on doit le vivre intensément.
L’avenir viendra silencieusement mais quand?
Il s’imposera de lui-même et le temps qui fuit, me donnera sa réponse. .
Merci, Christine, pour cette réflexion qui va droit à l’essentiel. La théologienne en moi désire souligner que Karl Rahner donne un nom à cet avenir absolu. Cet avenir qui se présente sous la forme d’un mystère qui vient vers nous et nous surprend, il l’appelle Dieu. Il n’est pas du tout nécessaire de lui donner ce nom, mais c’est intéressant pour deux raisons. (1) Cela dévoile la possibilité d’une lecture dynamique et pertinente du christianisme pour aujourd’hui. (2) Il s’agit du Dieu du silence infini. [Avec les amies de L’autre Parole, je préfère parler de la Dieue chrétienne au féminin, pas pour dire qu’elle est une femme, mais pour signaler d’où je parle comme féministe]. Alors, pour moi, dans mon expérience, il s’agit de la Dieue du silence infinie en toutes choses et, particulièrement, du silence intérieur, reposant, apaisant, qui me repose justement de cette vie d’affairement composé d’une série d’objectifs à poursuivre les uns après les autres.
Et c’est une bonne occasion de parler de silence et d’apaisement en cette période de l’Avent! Merci!
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