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CC Mic445 Flickr.com
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Et puis vient un jour où nous nous affalons devant notre agent de voyages comme une coureuse de marathon qui a passé le fil d’arrivée. Alors, l’idée de nous lever chaque matin de nos vacances pour découvrir les divers quartiers d’une ville, faire la file devant un musée ou un manège, ou porter un sac à dos sur un sentier pédestre nous rebute. Tout ce à quoi nous aspirons, c’est au sable chaud d’une plage, au bruit des vagues et à un verre de Margarita. Tout ce que nous désirons, c’est dormir et nous reposer. À ce stade, le soleil et la mer, qu’ils soient en Jamaïque ou en République dominicaine, ne sont plus qu’une question de nuances de bleus. Toute la qualité du voyage se trouve dans le soulagement d’être pris en main. Nous sommes devenus insensibles à tout, y compris à la misère des habitants du pays que nous irons visiter. C’est leur soleil que nous voulons. Pour le reste, que pouvons-nous bien y faire?

Dans la vie quotidienne des personnes poussées à bout, il y a bien peu de place pour les interrogations existentielles. Quand la compétence d’une personne ne se résume plus qu’à sa capacité à gérer plusieurs projets à la fois, elle n’a souvent plus d’énergie pour se demander si elle ne pourrait pas pratiquer son métier dans un endroit qui correspondrait davantage à ses valeurs. Un être fatigué ne veut pas voir que sa conjointe le boude, que son enfant est en train de vivre une expérience pénible. Au propre comme au figuré, il a du mal à garder les yeux ouverts. Bien sûr, si sa conjointe finit par le quitter ou si son enfant fait une fugue, il se sentira épouvantablement coupable. Il déplorera vivement son manque de volonté et son absence de vigilance. La fatigue, elle, sera rarement prise en compte.

La fatigue ordinaire, c’est-à-dire celle qui ne mène pas nécessairement à l’épuisement professionnel, est pernicieuse; elle engourdit plus qu’elle ne terrasse. Et surtout, elle est un cercle vicieux. Plus on est fatigué, moins on a le goût d’agir sur cette fatigue. Plus on est fatigué, plus on est idiot, agressif et manipulable. Les gens fatigués posent moins de questions, ils trouvent peu d’énergie pour s’indigner ou pour s’occuper de l’objet de leur indignation. Ils se sentent plutôt accablés, cyniques et fatalistes : «C’est comme ça!» Et, pendant qu’ils s’agitent, le monde peut continuer de tourner sans eux. Nous sommes bien loin des idées lumineuses du progrès humaniste.

Extrait de : À contretemps. Gérer moins vivre mieux, Fides, 2011, p. 105

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