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CC Maria D. Torrès

« Pour les Grecs, la circularité du temps excluait évidemment toute idée d’espérance, ou même de « projet » historique, dans l’acception moderne du terme. Si le temps est circulaire, alors la volonté de changer le monde n’a aucun sens puisqu’on sait par avance que cette volonté se fracassera sur l’inéluctabilité du destin.

Au regard de cette cosmogonie impérative, le prophétisme juif est superbement scandaleux. Il proclame : le temps n’est pas circulaire, il est droit; autrement dit, l’histoire humaine est enracinée dans une mémoire et orientée vers un projet. (…) Le peuple juif est dans l’attente; il est en chemin; il a le futur comme horizon. »*

Au commencement était le temps rond.  Puisqu’il y avait des saisons. Puisque la nature, au rythme d’une année, revenait inlassablement à son point de départ: un bourgeon qui éclate. Il y avait Perséphone, la fille de Déméter, qui, chaque automne, devait retourner chez Hadès pour tenir une promesse faite à la suite d’une longue négociation avec celui qui l’avait enlevée. Alors, sa mère éplorée, Déméter la puissante, la déesse de tout ce qui vit sur la terre, se recroquevillait sur elle-même, et la nature avec elle. C’était l’hiver. Il ne restait plus qu’à attendre le retour de Perséphone, la joie de Déméter et la belle saison.

Et puis, quelqu’un, quelque part, s’est mis à penser autrement. Il s’est mis à concevoir un Dieu unique et un Dieu en relation avec les êtres humains. Cette personne, quelque part, devait avoir une immense soif de sens, puisque dans le temps circulaire, il n’y a rien à expliquer, il n’y a qu’à subir le temps qui passe.

Soudain, pensant que Dieu est unique et en relation, que cette relation est semblable à celle d’un parent avec son enfant, le temps s’est redressé: il y avait dorénavant un début (la naissance), un mitan (l’âge adulte) et une fin (la mort). Et sur ce chemin-là, les expériences servaient à enrichir cette relation avec Dieu; elles avaient un sens.

Quelle révolution! Le temps linéaire est une victoire. À l’origine, il est une libération du fatalisme induit par le temps circulaire. Il parle de la puissance de l’être humain, de son pouvoir de transformation, de sa possibilité de réaliser les desseins de son Dieu…. Pourtant,  bien que sa relation à Dieu fusse individuelle, ce n’était pas le projet d’un individu. C’était le projet d’un peuple, de générations en générations: le peuple d’Israël, inscrit dans le temps mosaïque, inscrit dans le temps maillon.

Que s’est-il passé pour que ce temps « scandaleux », ce temps d’espérance pure, ce temps gorgé de sens, cesse soudain de nous porter et finisse même par nous étouffer sous la menace qu’il nous manque?

Beaucoup de choses très complexes, assurément! Mais ne pourrait-on pas penser qu’à l’origine, le « projet » était celui d’un Dieu vivant un temps immensément long, puisque lui-même est immense; et qu’aujourd’hui, l’être humain devenu dieu, place le « projet » dans sa perspective à lui: le temps d’une vie, un temps court… si court.

 

*GUILLEBAUD, Jean-Claude. Comment je suis redevenu chrétien, Paris, Albin Michel, 2007, p. 84 et 85.

Cet article comporte 2 commentaires

  1. Salut Christine,

    VRAIMENT intéressant ! Ta conclusion est SUPER et je me retrouve tout à fait dans tes propos comme étudiante en philosophie bouddhiste tibétaine. Si je regarde la possibilité de me réincarner (un temps immensément long) et de continuer ainsi à progresser sur le chemin spirituel alors j’ai l’impression d’avoir une sérénité incroyable par rapport au temps qui passe. Tandis que si je pense que ma vie se restreint à celle que je vis présentement et que je veux atteindre la bouddhéité, ça met beaucoup de pression et j’ai l’impression qu’il ne me reste pas grand temps !

    À la question que tu poses : «Que c’est-il passer pour que ce temps…. ?» Je pense qu’une partie de la réponse se trouve dans la perte de la spiritualité dans nos vies modernes et de notre mode de vie HYPER individualiste…

    Merci pour cet intermède et bonne fin de journée.

    Vivianne

    1. C’est stimulant: une citation prise dans un essai sur la chrétienté, qui parle du premier monothéisme,c’est-à-dire celui du peuple juif et qui rejoint la philosophie bouddhiste. Comme quoi, la spiritualité se vit toujours dans le temps long; elle a saveur d’éternité!

      Merci pour ce commentaire si pertinent!

      Christine

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