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Dans un livre sur l’innovation en marketing, Nathalie Joulin(1) souligne à quel point la créativité est capitale pour la survie d’une organisation. Pour elle, les individus employés dans les services de recherche et développement, de production, etc., doivent impérativement garder l’esprit ouvert, s’ils veulent pouvoir créer. Une bonne façon d’y arriver est de permettre l’expression des «passions personnelles» des employés, qui enrichiront le processus de création en établissant des liens nouveaux et inattendus. Dans un tout autre domaine, Marguerite Yourcenar conseille, quant à elle, à une jeune écrivaine de « se faire un programme de lecture immense et désintéressé(2) » afin de profiter au maximum de ses explorations. Dans son livre sur le management des connaissances, Tiago Forte(3) explique que le processus créatif se déroule en deux temps opposés, mais complémentaires. Le premier se nomme « divergence », le second « convergence ». Pour lui, il est important de traiter les deux parties du processus en deux temps distincts. Alors que le second cherche de façon très concrète et pragmatique à produire un résultat, le premier ratisse large et ne s’enfarge dans aucune frontière: il capte ce qui fait son affaire, passant sans scrupule de la gestion à l’horticulture, de l’histoire à la psychologie.

Les trois cas présentés s’inscrivent dans ce que j’appelle le temps panoramique.

Le temps linéaire amène à réfléchir par étapes successives, dans une progression logique et rationnelle depuis le point A jusqu’au point B, qui exclut par le fait même cette idée de vision globale permanente. Le processus de mise en objectif amorce un mouvement de réduction graduelle de notre regard, abandonnant en cours de route de grands pans de la réalité et, si nous n’y prenons garde, jusqu’au sens de nos actions. C’est le mouvement de convergence décrit par Forte. Dans la perspective linéaire, la créativité est mise dans un carcan alors que, dans une perspective panoramique, elle se trouve favorisée.

Commencer à focaliser avant d’avoir envisagé toutes les possibilités, c’est entrer dans un processus d’élimination les yeux bandés. C’est saisir sa caméra, photographier tout ce qui se présente, puis s’étonner d’avoir pris trop de photos! Une vraie photographe commence par regarder. Elle cible ensuite.

Le temps panoramique n’a pas toujours besoin du temps linéaire pour venir le restreindre. Il peut tout à fait se suffire à lui-même. Un paysage magnifique est impassible devant l’œil de la caméra; il se déploie même si celle-ci le limite. On peut tout à fait décider de simplement regarder, avec notre cœur et notre sensibilité, sans dégainer notre appareil. Le souvenir en sera souvent bien plus durable que n’importe quel cliché. L’envie de soigner et de guérir, l’élan de créer ou de jouir, la chaleur de l’enfant qui s’endort contre soi et l’effervescence joyeuse du travail partagé sont immensément plus larges que ce que l’objectif nous en montre. Pourquoi ne pas en profiter?

Ce n’est pas tant l’objet lui-même qui est affecté par le fait que nous le regardions exclusivement à travers l’objectif que la richesse perdue par celui ou celle qui regarde. Et le regard à travers l’objectif est un regard étriqué et incomplet.

De ce que la vastitude du sens et du réel déploie devant nos yeux, de l’infinité de possibles qui s’offre à nous, l’objectif saisit une partie – et une partie seulement – pour la traduire, de façon extrêmement concrète, en action appelant un résultat vérifiable et tangible. Et c’est bien! Le problème ne vient pas de la mise en objectifs. Le problème tient au fait que l’objectif est devenu notre seul moyen d’aborder la réalité. Alors, comme les  limites qui lui sont propres ne sont pas compensées par un autre type de vision, il en résulte une sécheresse, un appauvrissement de la vie. Il s’agit donc non pas d’éliminer l’objectif, mais plutôt de prendre de nouveau conscience du temps panoramique, de nous rappeler que la boussole et le sextant n’ont jamais été bons capitaines, que l’appareil photo n’est pas le voyageur. Alors, baissons notre caméra et levons les yeux… Embrassons du regard l’immensité de la vie, pour nous en émerveiller. Regardons, oui, regardons…

 

(1) Nathalie Joulin, Les Coulisses des nouveaux produits, Paris, Éditions de l’Organisation, 2002, 270 p.

(2) Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar, Paris, Gallimard, 1990, p. 62-63.

(3) Tiago Forte, Builging a Second Brain, New York, Atria Books, 2022, p. 178.

 

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