Le temps est multiple, disions-nous? Mais voyons! Le temps est unique, il nous est compté, il nous glisse entre les doigts! Voici pourtant un exemple d'un autre rapport au temps…

Disons d’entrée de jeu que l’Immaculée Conception, cette femme parfaite parce que sans péché, n’est pas mon image favorite de Marie de Nazareth. Je préfère celle de la paysanne parfois inquiète, parfois en colère, parfois comblée de joie… Humaine, quoi. Quand je pense à l’Immaculée Conception, je ne peux que penser à une statue de plâtre, les yeux au ciel; une vue de l’esprit, un esprit éthéré, non incarné…
L’ Immaculée est un idéal inatteignable. Peut-être est-ce le cas de tous les idéaux. Mais disons que certains sont plus que d’autres centrés sur la vie… Être immaculée, pour moi, c’est être immobile dans la crainte de la tache, figée dans l’horreur de l’imperfection. Sans vie.
J’ai toujours associé l’Immaculée Conception au perfectionnisme. Car seul le perfectionnisme peut poursuivre sans relâche cette quête de l’Immaculé.
Pensons à une belle bordée de neige, tombée durant la nuit, qu’aucun être vivant n’a encore foulée. Soyons plus prosaïques. Vous venez de laver votre plancher à fond… Pas de passage en vitesse d’une vadrouille humide, non, quelque chose comme laver à quatre pattes avec une brosse à dents pour déloger la poussière accumulée dans les coins. Votre plancher luit au soleil. Plaisir et tension… Il est immaculé, mais déjà menacé de ne l’être plus.
Voici un rapport au temps qui soulage la tension et qui privilégie la fluidité.
Dans le temps en spirale, il y a une Œuvre en train de se construire dans la durée: celle de notre vie d’humain. Nous sommes centrés alors sur la noblesse du processus et la beauté du travail en train de s’accomplir; sur l’élan davantage que sur le résultat ponctuel. Que ce résultat soit immaculé ou non n’importe jamais autant que ce faire plein d’être qui nous apprend que marcher, c’est aussi se salir les pieds.
Dans le temps en spirale, rien n’est immaculé très longtemps. Parce que la vie, c’est propre et c’est sale, parce que la neige n’est immaculée que parce qu’elle s’apprête à être foulée; que le plancher est fait pour porter des humains en mouvement. Dans ce rapport au temps, il n’y a pas de résultat final et définitif. Même après notre mort, ce que nous aurons semé germera encore.
J’honore dans le perfectionnisme cet élan du cœur vers le beau et le bien. J’honore cette volonté de bien faire. J’honore aussi cette liberté farouche qui nous fait mener une action à son terme, non pas en fonction du temps qu’on nous accorde, de l’échéance qu’on nous fixe, mais en fonction du sentiment intime qu’elle est accomplie.
Mais je crains cette intransigeance, cet entêtement à vouloir figer les choses dans leur aspect immaculé. Parce qu’à ce moment-là, on ne peut plus marcher librement sur la neige, ni sur le plancher…. On ne peut que se tenir figé, rigidifié, tendu et intolérant.
Alors, dites-moi: la connaissez-vous, vous, la frontière entre les deux?
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