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Kaïros de Francesco Salviati

C’est aussi du temps, mais qui est hors de la durée; c’est l’instant fugitif mais essentiel, soumis au hasard mais lié à l’absolu.*

 

Scène d’un film hollywoodien : un général du XIXe siècle attend la bonne occasion pour passer à l’attaque. Mais ce moment tarde et ses officiers s’inquiètent : « Aurait-il peur? Ne serait-il qu’un poltron?» Dans la salle, on se demande : « Ne serait-il pas en train de procrastiner? » Puis, enfin, le général donne le signal du combat et remporte la guerre. « Du bon cinéma », dira-t-on, à la sortie.

Sur le parquet de la bourse, un financier guette la courbe ascendante d’une cote. Il attend. Autour de lui, le silence est absolu et la tension palpable. À un moment, le financier ordonne : « Vendez ! » Tout bascule alors : la salle n’est plus que cris et brouhaha. Sous l’œil satisfait du financier, la courbe commence à redescendre.

Le bras levé entre deux mesures, un chef d’orchestre arrache un millième de seconde au silence. Devant lui, le regard affûté de son premier violon. Juste un peu, juste un peu encore, et voilà, la baguette tombe, l’archet s’abat avec fougue. La salle est sous le coup d’une magie incommensurable.

Un homme, une femme amoureux l’un de l’autre mais qui, ce soir, se le diront pour la première fois. Ils sont là, assis sur un canapé, seuls, un verre de vin à la main. L’instant est parfait, ils l’attendent tous deux depuis très longtemps. Les souffles sont courts, les mains frémissantes. Bientôt, souffles et mains se lieront; quelques secondes au-delà desquelles tout aura été dit. Mais, juste avant, les regards se révèlent ce que les paroles n’osent encore formuler.

 

Kaïros est représenté par un jeune homme arborant une grosse mèche de cheveux sur le devant de la tête; c’est qu’il faut le saisir à pleines mains, sinon il fuit, irrémédiablement.

Ce temps Kaïros, je le nomme «temps à double fond». Il se vit bien au-delà des concepts de mesure, d’utilité ou de gaspillage; sa générosité est sans limite. Il est large comme l’horizon, infini comme le cosmos. Un temps où même le cœur, un très bref instant, peut s’arrêter de battre.

Il est « non action », bien que l’action qui le suit ait une grande portée; bien que, après lui, rien ne soit plus comme avant.

Le temps à double fond est de tous lieux et de toutes textures. Il se montre là où on ne l’attendait pas. Il est une trappe s’ouvrant soudain sous nos pieds, nous faisant glisser dans l’absolu. Il est magie, miracle, cadeau. Il est sacré.

La seule chose qu’il demande, cependant, est une vigilance totale, une présence attentive au moment présent, une disponibilité sans réserve. Il se révèle à la condition que nous sachions, sans regret, effacer d’un coup notre passé et notre futur.

 

Le temps à double fond, Kaïros, est multiple et généreux. Mais il est exigeant.

 

 

 

 

*Jackie Pigeaud. Louis Guillermit, lecteur de Platon. Encyclopédie Agora.

 

Cet article comporte 3 commentaires

  1. Cet instant à saisir, ce temps qui fait tout basculer, Obama l’a laissé aller lors du premier débat contre son opposant Romney. Par contre, cette semaine, Obama a accroché à pleines mains les cheveux de Kaîros et il a gagné. Espérons pour nous tous sur la planète qu’il n’était pas trop tard pour changer le cours de l’élection. Il reste un débat avant le grand jour des élections américaines.

    La politique canadienne nous donne plus rarement à vivre de ces grands moments de bascule, ces grands moments d’avant et d’après. Par contre, le quotidien est plein de ces petits et grands revers de la démocratie sous Harper, Lui sait saisir, mais non pour le bien de tous. C’est l’idéologie conservatrice qui a le vent dans les voiles.

    Au Québec, la dernière élection a permis de passer à l’après Charest. Marois semble vouloir saisir les moments qui nous feront basculer vers autre chose. Il faudra non seulement saisir le bon moment, mais réussir à ce que les DEUX SOLITUDES puissent mieux se comprendre. Le roman de Hugh MacLennan, publié en 1945, est malheureusement encore trop d’actualité. À lire ou à relire.

    1. Dans la même veine, Françoise David l’a bien pris par les cheveux, Kaïros, le soir du débat! Un autre moment de bascule, bien qu’il soit plus long que la seconde de silence entre deux coups d’archet…

  2. C’est un très beau texte.
    Il fait prendre conscience que la vie nous offre de précieux moments que l’on doit apprécier et vivre à fond .
    Merci de m’avoir aidé à les reconnaître par des exemples signifiants
    et à savoir les prendre comme des cadeaux de la vie. .

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