Dans À contretemps, j’affirmais que certaines valeurs ont du mal à s’épanouir dans un rapport au temps strictement linéaire. Pour les vivre pleinement, il faut alors s’inscrire dans un autre…
« Comme notre terre était grande! » souffle Chloé Sainte-Marie en guise de conclusion à sa chanson Mishapan Nitassinan. Oui, comme elle était belle et immense la terre de tous ces peuples dont certains se sont éteints, terrassés par la maladie que les Européens ont amenée avec eux, en traversant le Grand Lac Salé.
Je suis en train de lire L’Étranger, le deuxième tome de la saga de Francine Ouellette intitulée Feu. Excellente romancière avant tout, l’auteure a fait un impressionnant travail d’historienne, comme en fait foi l’abondante bibliographie à la fin de ses romans.
Francine Ouellette nous fait revivre notre histoire : celle des peuples de l’Amérique du Nord. Sur cette terre, les rivières – principalement celle des Outaouais – servent de grands axes de communication. Elles lient les peuples algonquiens, chasseurs-cueilleurs, et les iroquoiens, agriculteurs, dans un vaste réseau d’échanges. Quand le défi quotidien consiste à se vêtir et se nourrir, fourrures et maïs ont la même valeur.
Ce territoire que nous connaissons pourtant si bien s’étale sur une carte dont les réseaux sont tout à fait différents de ceux auxquels nous sommes habitués. Délogés du fleuve par l’arrogance des Français, les peuples amérindiens s’enfoncent dans les terres – là où les bateaux de bois ne peuvent pénétrer – suivant des routes millénaires, celles des cours d’eaux. Là se trouvent les plus belles peaux de castors, animal dont l’esprit profané se vengera — aux dires d’un personnage — sur les peuples qui l’exploitent.
Nous vivons la colonisation comme une invasion, une agression et un choc des cultures. Francine Ouellette nous fait comprendre à quel point deux visions du monde se sont affrontées, toujours au dépens des Amérindiens. Notre histoire en est aussi une de mépris et celui-ci teinte encore les actions de nos gouvernements à l’égard des peuples autochtones.
Dans le temps maillon, nous portons tous et toutes ces histoires en nous.
Du génocide amérindien aux pensionnats autochtones, des coureurs des bois aux inventeurs, des Patriotes aux référendums, des cercles de fermières aux féministes, les histoires de nos aïeux sont des fils qui relient des événements dans le temps et les expliquent, du moins en partie. Elles nous constituent autant que nos expériences actuelles et individuelles.
Nous ne sommes jamais isolés sur la grande ligne du temps maillon. Si nous sommes ce que nous sommes, ici et maintenant, c’est que des épreuves, des joies, des guerres, des visions du monde et des valeurs ont forgé chaque maillon de la chaîne dont nous faisons partie.
Si une démarche en psychothérapie peut nous faire comprendre ce qui, sur la spirale de notre vie, a influencé ce que nous sommes, l’histoire, quant à elle, nous explique notre présence dans un temps collectif, en tant que génération.
Et par conséquent, le temps maillon nous fait réaliser que rien ne s’arrête après nous, tout continue : nous portons les gênes du futur de ce peuple bigarré auquel nous appartenons.
* Album Je marche à toi, 2002. Note: vous pouvez l’écouter en cliquant sur le titre, dans le texte.
** OUELLETTE, Francine. Feu. Libre Expression. Quatre tomes publiés. (L’auteure en prévoit six.)
Pour continuer dans l’idée du « temps maillon », je découvre la série télévisée de TVA « La Ruée vers l’or ». 10 personnes refont le trajet des chercheurs d’or, avec le même matériel qu’il y a cent ans.
Je pense qu’elle est disponible sur tou.tv
Très intéressant et instructif, le tout avec la participation de Georges Hébert Germain, historien.
C’était une autre version du « plan nord », vraiment plus aventureuse et humainement plus difficile.
Pour continuer dans la veine du temps maillon, j’ajouterais que ce jeune pays qu’est le Canada n’a pas développé – contrairement aux États-Unis – une tradition de connaître son histoire et ce que nous devons aux générations passées.
Les féministes ont les mêmes problèmes quoique depuis les années 1970, les choses changent lentement. L’histoire du mouvement des femmes est peu connu. Il y a quelques ouvrages importants dont «L’histoire des femmes au Québec» du collectif Clio et «Le féminisme québécois raconté à Camille» de Micheline Dumont qui fait pour sa petite fille et les autres qui suivront cette transmission du savoir. Les liens d’une génération à l’autre se font, c’est essentiel pour avancer.