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CC Benoît Prieur 1994
Benoît Prieur 1994

Le cultivateur d’antan ne disait pas : « je vais travailler à réparer la clôture ce matin, entre 8h et 11h30. » Il se levait plutôt avec le soleil, faisait quelques ablutions, avalait un petit déjeuner,  allait tirer ses vaches, puis il partait au champ sans regarder l’heure et travaillait à sa clôture jusqu’à ce que son bétail ne puisse plus brouter le pâturage du voisin. Quelques interruptions scandaient sa journée : repas, petite sieste au plus chaud de l’après-midi, soin des animaux. Pour lui, la journée se déroulait davantage de tâche en tâche que d’heure en heure.

Avec la révolution industrielle, tout cela s’est transformé. Sur une chaîne de montage, la même tâche peut être réalisée à répétition et de façon ininterrompue. Les ouvriers n’avaient plus à terminer une tâche définie, mais à se relayer par quarts de travail pour ne pas interrompre les « flux de production ». Ainsi, l’horloge et la pointeuse se sont substituées à l’idée de terminer une tâche. Les employeurs ont rémunéré leurs employés non plus en fonction de leur travail, mais en fonction de leur temps.

La pointeuse est donc responsable d’une séparation étanche entre la vie privée et le travail. Elle a fait en sorte qu’on puisse « quitter son travail », que l’on puisse passer d’un domaine à l’autre aussi sûrement que si nous traversions une frontière. Pour notre cultivateur, cette séparation aurait été inimaginable. Où séparer le travail de la « vie privée » entre le lait que l’on traie et le lait que l’on boit? Qu’est-ce à dire de cultiver les carottes, de les apprêter et de les manger avec gourmandise et satisfaction?

Pendant une grande partie du XXe siècle, cette distinction a été nécessaire aux organisations parce que le reste de la vie n’obéissait pas aux mêmes critères de performance et d’efficacité. Si on ne pouvait plus prendre une pause entre deux coups de marteau au travail, on avait conservé ce droit à la maison, quand il fallait réparer la chaise de cuisine.

Mais, peu à peu, le temps chronométré s’est installé aussi dans la vie privée.

On observe donc une nouvelle tendance. Le travail étant devenu impossible à compresser davantage dans les trente-cinq heures qui lui sont imparties, la compartimentation du temps joue maintenant en défaveur des organisations. Puisque notre temps est dorénavant efficace en tout temps, le rempart de la pointeuse contre notre inefficacité est devenu inutile, obsolète.

Ainsi, vous devez remettre un rapport pour lundi prochain; vous savez très bien que ce projet sera terminé quand vous l’aurez terminé… Peut-être dimanche après-midi.

L’échéance a pris le relais de l’horloge et l’on peut donc revenir au concept de tâche, ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose.

Mais si on ne s’est pas préoccupé d’établir de solides priorités dans notre vie en entier, il y a fort à parier que la situation profitera davantage à l’organisation qu’à nous-mêmes.

 

Inspiré de: ROSA, Hartmut. Accélération, Paris, Ed. de la Découverte, 2010.

Cet article comporte 3 commentaires

  1. Il est vrai qu’il faut établir nos priorités dans notre vie en entier parce que nous ne réussirons jamais à faire ce que le fermier faisait, i.e. aller de tâche en tâche avec un espace pour soi, pour récupérer.Spécialement si nous sommes à la maison – travail autonome, études, retraitée – si nous n’y mettons pas nos priorités, la vie, les autres en mettent pour nous.

    Et même quand le gros de notre travail se fait au bureau, avec les ordinateurs maisons, l’organisation s’attend souvent à ce que le boulot se finisse le soir ou les week-ends. Donc, là aussi, importance de savoir ce qu’on veut. Je dirais qu’au bureau, quand on met des limites, règle générale, on est d’autant plus respectée surtout quand on donne son 100% en d’autres temps.

  2. Bonjour,

    Belle article, je suis sur que certaines le trouve banal, mais les histoires comme ceux-ci sont importants car, ça nous montre les raisons pour certaines choses qu’on utilise quotidiennement, qui aurait su que les clôtures avaient une histoire si riche?

    Eric | clotures

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