Nous avons beau gérer notre temps avec la meilleure volonté du monde, cibler et planifier avec compétence, nous aurons toujours une inquiétude, une attente ou un contretemps pour nous déconcentrer,…

(1856-1915)
CC Wikipedia
Dans À contretemps, j’ai expliqué que la gestion du temps est un phénomène nouveau dans l’histoire de l’humanité. Il a fallu, d’abord, élaborer le concept de gestion et cela s’est fait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Je veux vous présenter aujourd’hui l’un de ses piliers théoriques: le travail de Frederick Winslow Taylor (1856-1915).
C’est difficile à imaginer, presqu’un siècle après sa mort: il fut un temps où chaque ouvrier d’usine organisait son travail comme il l’entendait, comme, de fait, l’agriculteur qu’il avait été. Bien plus, les dirigeants jugeaient inutile et au-dessous d’eux, de se mêler de la production. Ils se fiaient aux contremaîtres pour superviser la main d’œuvre.
Avec la production de masse, il a fallu, pour rendre les produits abordables, réduire les coûts afin de protéger – et accroître – les profits. Frederick Taylor a proposé cette clé: agir sur les modes de production, standardiser les processus et… éliminer les temps morts. Car, pour lui, l’ouvrier est la cause première des pertes d’efficacité, la non rentabilité et la non productivité. Pour Taylor, la flânerie est l’ennemi à pourfendre.
Par ailleurs, cet ingénieur de formation cherche à changer les mentalités. Il croit qu’il existe une coresponsabilité du travail entre dirigeant et ouvrier: une collaboration étroite entre eux est donc nécessaire. Il veut lever un malentendu entre patrons et employés: pour lui, la non connaissance « objective et scientifique » de ce qu’est une « journée loyale de travail », amène les premiers à désirer trop des seconds qui résistent en produisant trop peu. Son désir le plus cher est donc d’instaurer plus d’harmonie entre les parties et une prospérité conjointe. Taylor insiste sur le partage entre le dirigeant et l’ouvrier du gain supplémentaire réalisé grâce à son système, la rémunération au rendement. Quant au salaire à la pièce, Taylor la dénonçait comme injuste et inappropriée. Il se plaignait que les dirigeants recherchent le record et non l’optimum en plus d’ériger ce record en nouvelle norme exigible pour les nouveaux employés.
À cause de ses idées, Taylor s’est mis à dos tant les employés – qu’il jugeait malhonnêtes de ne pas fournir leur plein rendement – que les patrons qu’il accusait d’avidité et à qui il demandait de meilleurs équipements et de meilleurs salaires. Cet homme probablement névrotique obsessionnel, profondément mélancolique, est allé d’échec en échec, de dépression en dépression. Il a toujours dit que sa pensée avait été mal comprise, mal interprétée et détournée, ce qui l’a rendu amer une bonne partie de sa vie.
Mais le résultat est le même. « En un mot, dit Omar Aktouf, tout le savoir-faire traditionnel de l’ouvrier est transféré à la direction, qui le lui retourne sous forme d’ordres de travail… » Avec l’invention par Ford de la chaîne de montage, le rythme de son travail lui échappera aussi.
Et, pour finir, nous en arriverons tous et toutes, au retour du travail, à nettoyer notre cuisine en cherchant à «être efficaces».
Source: AKTOUF, Omar. Le management entre tradition et renouvellement (Édition révisée), Boucherville, Gaétan Morin éditeur, 1989, p. 40-59.
Oui, il y a eu impact du Taylorisme jusque dans le privé, jusque dans nos cuisines, mais la contrepartie n’est-elle pas qu’un peu d’organisation dans les tâches qui ne demandent pas de créativité telles le nettoyage de la toilette, de la vaisselle peuvent permettre de passer plus rapidement aux petits et grands plaisir de la vie?
Oui, évidemment! Pour plein de raisons, Taylor a été un grand théoricien.
Je cherche simplement à repérer et expliquer les réflexes que nous avons acquis au cours de l’histoire. Malgré notre aisance à la pratiquer, la gestion du temps ne nous est pas naturelle.