Lors d'une entrevue avec Jean-Martin Aussant le 11 septembre dernier*, Marie-France Bazzo affirmait que l’homme de 45 ans avait un parcours professionnel « atypique ». De fait, le fondateur de Option nationale…

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Qui ne sait pas vers quel port il doit tendre n’a pas de vent qui lui soit bon. (Sénèque)
Mes recherches sur l’émergence de la gestion du temps m’ont amenée à conclure que celle-ci est un phénomène moderne. De fait, avant d’inventer la gestion du temps, il a fallu inventer la gestion, et les précurseurs de cette science nouvelle ont vécu à la fin du XIXe et au cours du XXe siècle.
Pourtant, dans les ouvrages sur la gestion du temps, on cite souvent Sénèque, ce philosophe romain qui a vécu de 2 avant J.-C. à 65 après J.-C.. On se sert notamment de la citation ci-haut, pour prouver que, dans la vie, il est important de se fixer des objectifs. Or, Sénèque appartient à l’empire romain. Il a conseillé Caligula et Néron avant de se retirer de la Cour pour rédiger ses réflexions philosophiques, notamment ses Lettres à Lucilius d’où provient cette fameuse citation (lettre 71). Il aurait donc fallu une formidable intuition pour élaborer une telle pensée, à deux millénaires de distance.
N’écoutant que mon courage, je me suis donc plongée dans les Lettres à Lucilius – ça se place bien dans une conversation —: lecture longue et laborieuse à plus de deux milles ans de distance, la route étant aussi longue pour moi que pour lui. Voici ce que j’ai découvert : penser que Sénèque avait déjà compris qu’il fallait se fixer des objectifs, est une idée reçue. Comme on le fait souvent à notre belle époque, on l’a cité hors contexte.
Quel est ce contexte de la vie de Sénèque? Évidemment, le temps est plus compté pour lui que pour nous qui avons une espérance de vie bien plus longue que les gens de son époque. Lorsqu’il écrit, Sénèque est déjà considéré comme un vieillard… Il doit bien avoir plus de cinquante ans! Or, s’il donne beaucoup de prix à chaque minute de sa vie, le philosophe ne cherche pas à « réaliser » des objectifs. Sa seule préoccupation est de parvenir à la Sagesse.
C’est le « Souverain Bien » qui est le seul port possible. « Le souverain bien, écrira-t-il, c’est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu »*. Croyez-moi, nous sommes très loin de notre bonne société entichée de performance et de rendement!
Ainsi, l’objectif comme but fixé par soi-même est absolument étranger à la pensée du philosophe. Le port est déterminé à l’avance, il s’impose, il n’est pas choisi, et c’est la Sagesse philosophique. Il n’existe pas d’autre port après celui du Souverain Bien. Ainsi, notre course d’un objectif à l’autre n’aurait aucun sens pour lui. Une fois atteinte, la Sagesse reste telle qu’elle est : parfaite, sans amélioration possible. On s’y tient, on la vit. On ne cherche pas ailleurs, pas plus loin. Sénèque ne vise pas le « toujours plus ».
Et ce qu’il affirme à Lucilius, c’est que cette vie-là est possible.
* Cité dans Wikipedia.
Je me demande si toute la gestion du temps ne viendrait pas de l’agriculture? Sans doute y a-t-il eu bien des essais et erreurs. Il faut savoir quoi planter et quand pour avoir un bon rendement. Il faut savoir aussi récolter avant l’orage ou avant que la sécheresse ne détruise tout… et donc, c’est de la nuit des temps que l’on veut maximiser les fruits du labeur et qu’on lutte contre les bestioles, les éléments pour maintenir son rendement. Donc, avant la chaîne de montage, et déjà au temps de Sénèque, alors qu’il poursuivait ses réflexions philosophiques, les fermiers devaient avoir un calendrier qui suivait les saisons, cherchant à maximiser le rendement sur l’effort.