Il y a quelques jours, j'ai confronté ma fille à un dilemme. Nous allions visiter sa grand-mère et elle a refusé de nous accompagner. Elle avait un devoir à faire.…

Avant de fêter notre centième rendez-vous, je vous disais que, dans mon livre récemment publié La surchauffe de nos agendas, je proposais d’adopter trois attitudes qui permettent de voir et de vivre le temps autrement : l’autonomie, l’apprivoisement de la limite et la bienveillance. J’ai déjà parlé de l’importance de développer son autonomie.
Parlons aujourd’hui de la notion de limite.
Pour ce faire, je voudrais étudier avec vous ce mot : excellence. Dans quelques semaines, nous vivrons un véritable festival de l’excellence : les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. Mis à part le mot performance, il n’y en aura pas beaucoup d’autres qui seront plus célébrés que celui-là.
L’excellence est un mot lourd de sens et d’images. Je vous propose donc de le « déconstruire », afin de voir si toutes ses composantes sont nécessaires.
L’ excellence contient d’abord l’idée d’un « haut niveau de perfection ». C’est du moins ce que nous dit le dictionnaire. Et c’est sans doute pour exprimer cela qu’il a été inventé. C’est son essence.
Notez qu’on ne dit pas « toujours plus haut ». Le dictionnaire ne dit pas qu’il s’agit d’un processus infini. De fait, nous pourrions tout à fait, selon cette définition, nous maintenir à ce haut niveau.
Inspiré par les jeux olympiques et bien d’autres images encore, qu’est-ce que cache ce toujours plus haut? Il cache l’idée de croissance.
Mais pourquoi croître? Parce qu’il ne faut pas se faire dépasser par d’autres, puisque cela équivaudrait à n’être plus au plus haut niveau. Pourtant, selon la définition déjà donnée, rien ne nous empêcherait de nous dire à un haut niveau, même si d’autres se placent au-dessus nous. Qu’est-ce qui nous empêche alors de le croire? Un troisième mot : compétition. Et nous voilà à nous dire que ce haut niveau doive constamment être dépassé afin que personne ne nous rattrape.
C’est la croissance aiguillonnée par la compétition qui nous dicte que cela n’a pas de fin, qu’il faille grimper, encore et encore, que nos limites doivent être à jamais enfreintes, si nous voulons nous conformer à cette image de l’athlète olympique qui est toujours à battre des records du monde.
Serait-il possible de reconstruire l’excellence en laissant la croissance et la compétition sur la table? Qu’adviendrait-il alors du souffle, de l’élan vital qui nous lancent « en avant » et nous permettent de devenir de meilleures personnes? Notre vie sans la croissance se trouverait-elle automatiquement privée de sens?
C’est ici que la jardinière temporelle arrive à la rescousse. Grâce à elle, l’excellence n’a plus besoin de la croissance, ni de la compétition pour nous porter, nous stimuler, nous enthousiasmer.
La limite a mauvaise presse dans la modernité. Il est temps de se réconcilier avec elle, il est temps de la réhabiliter. Il est temps de se remettre à choisir.
Et à ce chapitre, me semble-t-il, les images que je propose peuvent nous aider à vivre le temps autrement.
La surchauffe de nos agendas. Vivre le temps autrement. p. 65-73
Merci pour ce billet qui m’inspire beaucoup et qui me donne à penser. D’autant plus que j’héberge maintenant une jeune athlète de 15 ans chez moi. Elle a fait le choix de quitter sa région pour venir s’entraîner au plus haut niveau. Je vis avec elle au quotidien et cela change mon regard sur le sport de haut niveau. La croissance n’est pas constante, loin de là. La compétition n’est pas tout non plus. Il y a finalement une expérience quotidienne des limites chez notre athlète, dans son entraînement quotidien, avec ses hauts et ses bas. Et cela me fait réaliser à quel point nous cultivons un mythe autour des athlètes, nous créons une espèce de fantasme déshumanisant autour d’eux. Ce billet m’aide à relire ce qui se déplace dans ma perception et ma réflexion. Un immense merci!
Je trouve toujours pathétique que notre jugement sur le 4e ou le 5e compétiteur d’une discipline soit si sévère, parfois même méprisant. Ils ont pourtant atteint de » hauts niveaux de perfection ».
Je m’étonne aussi que plusieurs agences de « motivateurs » nous demandent non seulement de nous inspirer des athlètes de haut niveau, mais aussi de nous comporter comme ces athlètes.
Franchement, je trouve cette image mystifiée aussi irréaliste que celle de Marie, vierge et mère, pour les femmes du passé!
Ah oui, c’est une image pétrie de fantasmes, de projections, d’idéalisation. La comparaison avec Marie vierge et mère me plait.
L’athlète qui termine 4e ou 5e a sans aucun doute travaillé aussi fort que les trois premières, et a d’aussi grandes capacités. Toutes sortes de facteurs peuvent jouer. Et ce sont des fractions de seconde qui les différencient, souvent. Presque rien, en fait.
Notre athlète de 15 ans dit que rendus à ce niveau, tout le monde est super bon à peu près également. Cette jeune fille est capable de dire « je suis contente de mon temps » même si son père pense qu’elle aurait pu faire mieux. Les motivateurs auraient intérêt à s’inspirer de cela, au lieu de faire une fixation sur le podium!
Se pourrait-il que la perfection soit dans le regard?
Je veux dire dans l’oeil de celui ou celle qui regarde?
Oui, évidemment, mais comme tu l’as si bien dit, quand on est rendu aux jeux olympiques, on a atteint cette perfection, le reste est hors de notre contrôle, dans les événements eux-mêmes. On devrait nous éduquer à cela au lieu de nous faire focaliser sur les trois premiers, ou même, parfois, le premier seulement.
Ah! L’excellence! La perfection! Quels beaux mots!…
Pour en avoir entendu parler dès mon jeune âge, je me rappelle qu’à chaque bulletin scolaire que je recevais, mon père n’était jamais satisfait des bonnes notes que j’avais atteintes, ce n’était jamais assez pour lui.
Au lieu de m’encourager pour les bons résultats obtenus, j’étais punie pour avoir atteint le 2e ou le 3e rang et non le premier.
Mais au fond, je savais que j’avais fait de mon mieux et avec le temps, mon idée s’est forgée ainsi:
Il faut toujours travailler sérieusement dans tout ce que nous faisons. Il est alors possible de se dire le soir avant de se coucher que nous avons fourni le maximum et le meilleur de nous-même.
J’ai appris très tôt à mes enfants à se responsabiliser et à bien s’investir dans leurs activités.
Je ne ratais jamais une occasion de les stimuler et de les encourager à faire de leur mieux, rien de plus pour épater la galerie. Pas de compétion avec les autres, seulement faire son possible et tout était parfait.
Je sais que je leur ai transmis la manière d’être heureux par la satisfaction du travail bien fait, ce qu’ils s’appliquent à faire à merveille.
Je peux dire que j’ai atteint mon but: élever des enfants honnêtes, responsables et heureux dans la profession qu’ils exercent et j’en suis très fière.
Voilà un bel exemple d’excellence sans compétition! Merci pour ce témoignage!
Merci pour le billet, Christine. Et pour une fois, les commentaires sont aussi intéressants et stimulants que le texte commenté (ce qui est très rarement le cas dans les blogues).
Je partage totalement ce qui est dit par toutes les intervenantes jusqu’ici. Mais je voudrais ajouter un aspect qui m’interpelle particulièrement: qu’en est-il de la « croissance »… personnelle (c’est-à-dire par rapport à soi-même)?
Pour moi, la passion actuelle de ma vie est devenue de chercher à être chaque jour et sans cesse un « meilleur » humain. Ce qui est pour moi le synonyme contemporain et séculier de la recherche de la perfection ou de la « sainteté » qu’on nous présentait comme l’idéal de notre enfance dans les milieux catholiques.
Or cette quête/recherche est aussi un « entraînement » (analogue à celui d’un athlète, aussi bien de bas que de haut niveau). C’est un effort conscient et volontaire (mais pas volontariste ni crispé) de pousser plus loin notre capacité de… (mettez tous les mots positifs que vous voulez: écoute, compassion, justice, courage, générosité, discernement, etc.)
Cette quête comporte effectivement un élément essentiel de « croissance » et cette croissance est effectivement infinie (à l’intérieur de nos limites humaines, de notre nature « finie »). Mais elle se fait sans aucune compétition, non seulement avec les autres mais même avec soi-même: je ne cherche pas à « être meilleur que » (que l’autre, que moi-même, ou même que hier); je cherche simplement à m’améliorer, à avancer, à pousser plus loin quelque chose qui me nourrit/comble/rend heureux déjà…
Merci beaucoup Christine de nous inviter à déconstruire ainsi les mots pour nous permettre de mieux les comprendre et de pouvoir éventuellement nous les approprier vraiment…
Bienvenue dans mon blogue! Oui, les commentaires y sont toujours stimulants et nous amènent plus loin. Tu seras un apport incontestable à la discussion, le premier apport masculin, faut-il le mentionner!
Ainsi, il est vrai que la ‘quête de l’excellence’ sans le recours à la croissance peut être un défi. Mais, tu le sais bien, il faut explorer cette avenue-là, puisque l’autre nous mène à la catastrophe (autant pour notre santé que pour celle de la planète). Le défi: réorienter l’excellence sans la dévitaliser! C’est ce que je m’efforce de faire dans le chapitre 2 de mon livre, où je propose l’idée d’épanouissement.
Encore merci pour ton commentaire!
Je n’ai pu m’empêcher de relire, en cette veille des Jeux Olympique d’hiver 2014, l’un des premiers textes que je publiais dans le Carnet des simplicitaires il y a maintenant quatre ans et qui portait sur les JO d’hiver 2010 à Vancouver, de même qu’avec leur rapport à l’excellence (http://carnet.simplicitevolontaire.org/2010/03/jeux-olympiques-et-sv/)! Toujours d’actualité!