Nous avons beau gérer notre temps avec la meilleure volonté du monde, cibler et planifier avec compétence, nous aurons toujours une inquiétude, une attente ou un contretemps pour nous déconcentrer,…

struggle for Rights
CC wilpf.org
Mon histoire se passe dans un grand bureau de professionnels montréalais. Année fructueuse s’il en fut: deux membres de la société, un homme et une femme, ont accueilli un nouveau bébé dans leur famille respective. Les nouveaux parents semblent tout à fait heureux de cet événement et ont été chaleureusement félicités.
Nous sommes à la fin de l’année fiscale, au temps de la planification budgétaire. Il faut savoir que dans ce type d’organisation, le budget est garant du statut de l’associé-e et détermine son salaire. Il est défini en nombre d’heures et en taux horaire. Ainsi peut-on évaluer la contribution d’un ou d’une membre de la société au chiffre d’affaires global.
Or, c’est ici que les chemins de nos deux heureux parents se séparent. Alors que madame dépose un budget réduit parce qu’elle tient compte de son nouveau rôle, monsieur, lui, présente exactement le même budget qu’à l’habitude, taux de croissance compris — puisqu’il faut, là comme ailleurs, afficher un taux de croissance.
Dans mes livres, je parle beaucoup de la nécessité d’accepter ce qui est et d’en tenir compte dans l’agenda. Voici un bel exemple : la femme a tenu compte de sa nouvelle réalité.
Mais penchons-nous sur le cas masculin. Il se peut que ce nouveau papa fasse de la pensée magique et tente de se convaincre qu’une bonne gestion de son temps lui permettra de mener de front sa carrière et sa vie de famille, continuant ainsi à donner ce que l’on attend de lui. Il se pourrait aussi qu’il n’ait aucune intention de changer son mode de vie pour « faire de la place » à ce nouvel enfant. Mais comme l’arrivée d’un bébé ne peut avoir aucune conséquence sur la vie quotidienne d’un couple, on pourrait logiquement penser que, dans les deux couples dont il est question ici, une personne (ou les deux) a bien dû en tenir compte et ajuster son horaire. Du côté de l’homme, il est donc probable que c’est sa conjointe qui l’a fait.
La femme, quant à elle, a d’emblée du plomb dans l’aile au sein de sa société : son salaire et sa progression dans l’organisation seront automatiquement influencés par sa décision. Dans le contexte actuel, elle n’a pourtant pas d’autre choix, si elle veut éviter l’épuisement. Mais c’est une chose d’accepter ce qui est et d’en tenir compte; le faire sans éprouver un sentiment de révolte en est une autre! Car si nous regardons la situation de plus haut, il faut bien voir que, structurellement, il y a quelque chose qui cloche.
Il y a un autre acteur important dans ce portrait-là. Il y a une culture qui envisage cette situation-là, qui reçoit ces deux évaluations budgétaires côte à côte et qui ne pose aucune question.
Tant que les employeurs accepteront de tels budgets sans remettre en question leur fonctionnement interne, le problème structurel se reproduira. Et on se demandera comment « retenir les femmes dans les grands bureaux ».
Et plus ça ira, plus on aura aussi des problèmes à retenir les hommes.
Cet article comporte 0 commentaires