Lors d'une entrevue avec Jean-Martin Aussant le 11 septembre dernier*, Marie-France Bazzo affirmait que l’homme de 45 ans avait un parcours professionnel « atypique ». De fait, le fondateur de Option nationale…

Vous connaissez sans doute l’histoire de ce pêcheur qui se dore au soleil savourant une belle pause dans son travail. Un homme d’affaires vient à lui et lui recommande de se mettre au travail, pêcher davantage, acheter un plus gros bateau, fonder une entreprise, faire plus d’argent, etc. Le pêcheur demande : pour quoi faire? Et l’autre répond : pour pouvoir te la couler douce au soleil!
J’ai écrit dans À contretemps que nous vivions dans un système idéologique très cohérent. À un point tel que nous avons de la difficulté à prendre du recul par rapport à lui et, surtout, à prendre la décision, quand c’est nécessaire et que cela correspond à nos valeurs, de marcher à contre-courant.
C’est un fait, le troisième côté du triangle, celui de l’être et du soin, a été largement pris en charge par la société de consommation.
Avant elle au Québec, l’Église catholique avait la charge de ce troisième pan. Elle nous a imposé les dimanches, les nombreuses fêtes religieuses, les temps de jeûne, le mois de Marie, la procession du Saint-Sacrement, l’Angélus et j’en passe. Quel était l’effet de tout cela? Procurer des temps de repos, de vie communautaire et de ritualité. Des temps consacrés à l’être et à la spiritualité. L’Église avait le pouvoir d’imposer au capital du temps autre que le temps de travail.
Voici un autre bel exemple où nous avons jeté le bébé avec l’eau du bain. En nous libérant d’un joug sévère et contraignant, nous avons aussi jeté par-dessus bord l’idée de soin. Ou plutôt, nous avons laissé le marché prendre la place de l’Église dans cette prise en charge du soin. Avons-nous gagné au change?
Ainsi, beaucoup de fêtes « chômées » ont été abandonnées et nous travaillons le dimanche. Le chômage, c’est maintenant juste pour les sans-emploi, un mot qui a pris une connotation extrêmement négative, anxiogène. En termes de ritualité, le marché nous transforme en consommateurs et consommatrices : acheter des cadeaux à Noël, du chocolat à Pâques, des costumes à l’Halloween, etc.
Ensuite, les petites récompenses ont perdu leur saveur face aux objets de consommation : s’offrir une heure au spa ou chez la manucure, aller dans le Sud, s’acheter une crème hydratante super-cher ou une piscine creusée. Nous travaillons si fort! Le marché nous dit : « tu le mérites bien ».
Et le sens, lui? Tout cela tient sur le système de valeurs néolibéral : progrès sans limite, productivité, rentabilité etc.
C’est la morale de l’histoire du pêcheur et de l’homme d’affaires. Le soin ne coûte rien, mais le système dans lequel nous évoluons nous amène à penser qu’avoir une hygiène temporelle adéquate coûte cher et demande beaucoup de travail.
Reprendre son pouvoir d’être et son autonomie dans son rapport au temps, c’est reconquérir le droit de soigner son temps sans automatiquement s’en remettre au marché. C’est partir à la conquête d’un mode de vie plus sain, dans les petites choses, au quotidien.
Magnifique Christine! Merci de faire ressortir certaines sagesses qui nous venaient de notre adhésion à la foi catholique. Nous ne pourrions plus vivre sous le joug de l’Église comme autrefois mais nous pourrions sûrement nous inspirer des valeurs collectives qu’elle transmettait.
Je me propose de reprendre ce texte dans le prochain Simplement Vôtre, si tu es d’accord.
Lise
Bien sûr!